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Entretien de fin de séjour avec Leila Ghaffari, boursière BMO du CRIEM 2021-2022 

Publié: 18 December 2022

Leila Ghaffari termine son séjour comme boursière postdoctorale BMO au Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises (CRIEM). Elle commence désormais un nouveau projet de recherche lié aux enjeux d’iniquités dans le cadre d’un stage postdoctoral à McGill avec le professeur Nik Luka. Pour faire le point sur sa bourse et revenir sur son projet de recherche portant sur les tiers-lieux (tout espace de socialisation en dehors du travail et de la résidence) dans un contexte post-pandémique, l’équipe des communications du CRIEM l’a rencontrée virtuellement le temps d’une conversation.

Pouvez-vous nous parler du développement et de l’évolution du sujet de votre recherche postdoctorale tout au long de 2021-2022? Quels défis avez-vous rencontrés au cours de votre projet?

« Lorsque j’ai rédigé ma proposition de recherche l’année dernière, on sentait que la pandémie était derrière nous. Ainsi, je l’ai écrite en pensant travailler sur la situation postpandémique. Mais, comme on le sait aujourd’hui, ce n’était pas le cas. Vu que nous ne sommes pas encore tout à fait dans un contexte de postpandémie, j’ai plutôt essayé de comprendre comment la relation entre la population et les tiers-lieux a évolué, puis comment cette même population envisage un futur postpandémique.

Le défi principal de ma recherche était la nature instable du contexte dans lequel je la menais. Puisque tout évoluait constamment et qu’on ne savait pas encore si la pandémie était terminée, j’ai dû effectuer ma recherche dans l’incertitude et le ralentissement. C’était une situation complexe, mais en général, le projet a bien avancé. J’avais deux outils principaux: le questionnaire et l’entretien. J’ai reçu 118 réponses au questionnaire et j’ai mené 14 entretiens avec les résident·e·s et les commerçant·e·s de la Promenade Ontario, que j’étudiais. J’ai donc pu obtenir des résultats bien intéressants. »

Comment avez-vous bénéficié du soutien du CRIEM et des collaborations avec les membres et partenaires du CRIEM pendant votre bourse?

« En fait, j’avoue que la pandémie a aussi compliqué les choses à ce niveau. J’étais vraiment contente d’avoir reçu une bourse d’un centre interdisciplinaire comme le CRIEM. Je me disais que j'aurais la chance d’échanger avec des personnes dans d’autres domaines que le mien, mais en raison de la prédominance du télétravail, je n’ai pas eu beaucoup de rencontres occasionnelles avec les membres. Cependant, les quelques membres que j’ai pu rencontrer ont aidé à élargir mon réseau, ce qui a abouti en un nouveau projet de recherche postdoctorale à McGill avec Nik Luka, le directeur associé du CRIEM. Ma bourse m’a donc permis de mieux le connaître et de travailler avec lui par la suite. J’ai aussi eu l’occasion de rencontrer d’autres membres virtuellement et de profiter de leurs connaissances, surtout lors d’un atelier que nous avons organisé au sein du CRIEM sur la méthodologie de ma recherche et au cours duquel les échanges   entre les spécialistes de différents domaines ont contribué à réorienter ma démarche. Avec l’appui d’Audray Fontaine et du réseau du CRIEM, j’ai également pu contacter des acteur·rice·s liés à mes sujets de recherche et mettre mon questionnaire en ligne sur les réseaux du centre. Somme toute, malgré le contexte pandémique, j’ai été bien appuyée par le CRIEM, dont la nature multidisciplinaire était très attrayante pour moi dès le départ. »

Votre recherche porte principalement sur les disparités sociodémographiques, la gentrification et les « tiers-lieux ». Pourquoi avez-vous choisi ces sujets et pourquoi est-il important de les étudier? 

« Nous vivons dans un monde très inégal, et cela à diverses échelles, dont celle des villes et des quartiers. L’iniquité territoriale a toujours été un enjeu important pour moi. Cela fait plusieurs années que j’étudie la gentrification, comme dans le cadre de ma thèse de doctorat, afin de mieux comprendre comment les populations vivent les transformations de leurs quartiers. Je dois aussi souligner que ces changements influencent le sentiment d’appartenance et la vie sociale à l’échelle du quartier. Comme il s'agit d’éléments essentiels au bien-être de la population, il est important de les étudier, ce qui explique également mon intérêt envers les tiers-lieux. La pandémie a imposé des changements dans les villes, les quartiers et les espaces urbains. Pour moi, c’était important de comprendre comment ces transformations ont pu influencer la vie sociale, et donc le bien-être, des résident·e·s. Cette relation entre les espaces urbains, la vie sociale et le bien-être de la population est primordiale pour moi, surtout lorsque l’on parle d’iniquité territoriale et de gentrification. »

Vous avez travaillé en collaboration avec les résident·e·s, les commerçant·e·s des tiers-lieux et les acteur·rice·s communautaires de Hochelaga-Maisonneuve. Comment cela a-t-il influencé votre démarche de recherche ainsi que les résultats obtenus?

« Comme ma recherche était principalement basée sur les données venant des personnes consultées, les résultats sont étroitement liés à leurs perceptions, leurs attentes, leurs besoins, etc. À travers mes interactions avec ces gens, certaines découvertes ont mené aux constats les plus intéressants de ma recherche.  

Le premier constat est que les gens ont tendance à fréquenter les tiers-lieux dans lesquels ils peuvent trouver des personnes qui leur sont similaires. Ceci fait en sorte qu’à la Promenade Ontario, les différentes populations ne se mélangent pas et choisissent des tiers-lieux distincts. L’existence de divers types de tiers-lieux et leur coexistence est un signe de mixité pour les habitant·e·s. Il faut toutefois faire attention aux limites de cette mixité. Ce n’est pas une question d’avoir tout le monde au même endroit, mais de se demander s’il serait plus avantageux pour les groupes de la population de se mélanger ou de coexister les uns à côté des autres. Il y a des éléments qui rendent les tiers-lieux plus tolérants et propices à la mixité. D’abord, ceux qui sont gratuits, comme les trottoirs, puis ceux qui sont informels. Par exemple, le terrain vague situé à l’est du quartier, acheté partiellement par Ray-Mont Logistiques, n’est pas un tiers-lieu officiel, mais il l’est devenu par son informalité. Cette nature informelle permet aux populations de s’y mélanger sans problème. 

Le deuxième constat que j’ai pu tirer de mes rencontres avec les habitant·e·s est que la gratuité est un élément important pour les tiers-lieux des populations vulnérables. Durant la pandémie, la population de la classe moyenne a, elle aussi, découvert l’intérêt des tiers-lieux gratuits. Avant, cette population se rencontrait dans les cafés, les bars et les restaurants, mais pendant la pandémie, elle a découvert l’importance de la gratuité à travers son utilisation des espaces publics et des parcs. Après la pandémie, cet intérêt envers la gratuité a influencé les choix de la classe moyenne, qui fréquente désormais plus souvent les espaces publics gratuits.

Mon troisième constat est le rôle primordial que jouent les commerçant·e·s dans la création des tiers-lieux. La relation que le ou la commerçant·e crée avec les habitant·e·s du quartier est un facteur important pour inciter la population à retourner vers un certain lieu. À Hochelaga, sur la Promenade Ontario, il y a des espaces que je n’identifiais pas comme des tiers-lieux au départ, mais que les habitant·e·s eux-mêmes considéraient comme tels. C’est le cas d’Évasia, un magasin devenu tiers-lieu en raison de son commerçant qui connaît tout le monde dans le quartier. Les gens fréquentent cet endroit pour jaser entre eux et discuter avec le commerçant, ce qui était assez intéressant à constater. 

Un tout dernier constat est que la pandémie, paradoxalement, a permis de mettre en place de nouveaux projets capables de créer des tiers-lieux de qualité. Par exemple, la piétonnisation de la Promenade Ontario, qui était une mesure d’urgence assurant la distanciation physique, a amélioré la vie sociale dans le quartier au point de devenir un projet permanent. En effet, la SDC Hochelaga-Maisonneuve et l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve ont choisi de faire de la Promenade Ontario un lieu de rencontre estival. Ainsi, la pandémie aura démontré tout le potentiel d’utilisation des espaces publics comme des tiers-lieux pouvant servir à la socialisation. »

Maintenant que votre projet est presque abouti, pensez-vous que vous allez continuer à étudier Montréal? Pourrons-nous vous revoir dans la ville, peut-être même au CRIEM?  

« Oui! C’est mon travail d’étudier la ville et Montréal étant celle où j’habite, il s’agit d’un lieu qui reste au centre de mes intérêts et de mes préoccupations. En ce moment, je commence un nouveau projet de recherche lié aux enjeux d’iniquités qui porte sur les politiques d’habitation et sur leur capacité à régler la crise du logement. Je compte étudier le règlement de Montréal pour une métropole mixe afin de comprendre les éléments de succès et d’échec en matière de zonage inclusif. Je vais donc travailler sur l’habitation, la densification et l’abordabilité. Ce projet se fera dans le cadre d’un stage postdoctoral à McGill avec le professeur Nik Luka, dont j’ai parlé plus tôt. Enfin, je sais que le CRIEM va aussi travailler sur les enjeux de densification cette année et j’espère que l’on pourra former des collaborations. Je continuerai donc de m’impliquer au CRIEM et, avec la pandémie (presque) derrière nous, je pense pouvoir rencontrer un plus grand nombre de ses membres. »

Quel est un moment mémorable de votre séjour au CRIEM?

« Le moment le plus mémorable pour moi est lorsque j’ai rencontré Audray Fontaine en personne après avoir travaillé en ligne avec elle pendant un an. Les échanges occasionnels que j’ai pu avoir au CRIEM avec Stéphan Gervais, Elissa Kayal, Mary Anne Poutanen et Nik Luka sont également très mémorables. »

Votre recherche postdoctorale a porté sur Hochelaga-Maisonneuve. Quels sont vos lieux préférés dans ce quartier?

« Le Marché Maisonneuve, le Canard Café, Atomic Café, Hoche Glacé, la Place Valois, la Promenade Ontario en général, l’Anticafé, la boulangerie Arhoma, la librairie le Renard Perché, les parcs et les ruelles. »

Quels ouvrages ont le plus influencé votre projet?

« L’ouvrage d’où vient le concept des tiers-lieux est The Great Good Place, écrit par Ray Oldenberg. Les travaux de Talja Blokland, comme Urban Bonds, ainsi que ceux de Hickman et Carmona ont aussi influencé ma recherche. »

Ouvrages additionels: 

  • Blokland, T. et Savage, M. (2008). Networked urbanism: social capital in the city. Aldershot: Ashgate. 
  • Blokland, T., & van Eijk, G. (2010). Does living in a poor neighbourhood result in network poverty? A study on local networks, locality-based relationships and neighbourhood settings. Journal of Ethnic and Migration Studies, 35(10), 313–332. 
  • Hickman, P. (2013). “Third places” and social interaction in deprived neighbourhoods in Great Britain. Journal of Housing and the Built Environment, 28, 221-236
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