Entretien avec Mark Ware, nouveau directeur de l’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards et professeur agrégé permanent en médecine de famille

Nous avons le plaisir d’annoncer la nomination du docteur Mark Ware, médecin spécialiste de la douleur et clinicien-chercheur, au poste de directeur de l’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), titulaire de la Chaire en douleur clinique Alan-Edwards et professeur agrégé permanent au Département de médecine de famille de la Faculté de médecine et des sciences de la santé (FMSS) de l’Université McGill. Le Dr Ware est entré en fonctions le 1er mai 2023.

Depuis plus de 20 ans, le Dr Ware réalise des travaux centrés sur les besoins des patients qui portent sur le soulagement sûr et efficace de la douleur et les conséquences qui y sont associées. Cela l’a mené à étudier l’usage, l’efficacité et l’innocuité des médicaments dérivés du cannabis (cannabinoïdes), de même qu’à se pencher sur le rôle possible des approches complémentaires et intégratives de gestion de la douleur. De 2001 à 2018, alors qu’il était membre du corps professoral des départements d’anesthésie et de médecine de famille à McGill, le Dr Ware s’est investi dans la création de programmes d’enseignement sur la douleur et dans l’enseignement des notions de gestion de la douleur dans le programme d’études médicales de premier cycle, en formation médicale postdoctorale et dans diverses professions de la santé. Il a également collaboré à de nombreuses études à l’échelle locale, provinciale et nationale portant sur l’incidence de la douleur dans la population, dans le but d’optimiser les approches cliniques. Ses travaux ont été financés par les Instituts de recherche en santé du Canada, le Fonds de recherche du Québec – Santé et plusieurs organisations philanthropiques et du secteur privé.

De 2007 à 2018, le Dr Ware a été directeur général du Consortium canadien pour l’étude des cannabinoïdes (CCIC), un organisme à but non lucratif. En 2016, il a été vice-président du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis au Canada, dont le rapport a servi de cadre à la Loi sur le cannabis, entrée en vigueur en 2018. En juillet 2018, le Dr Mark Ware a pris congé de son poste à McGill pour devenir médecin en chef de la Canopy Growth Corporation. Pendant cette période, il a suivi une formation d’administrateur en gouvernance d’entreprise à la Rotman School of Management.

Veuillez vous joindre à nous pour accueillir de nouveau le Dr Ware au Département de médecine de famille et le féliciter de sa nouvelle nomination.

Nous avons parlé au Dr Ware des récentes avancées en médecine de la douleur, de ses priorités comme directeur et de ses motivations comme médecin et chercheur.

 

Pourquoi êtes-vous devenu un expert de la douleur? En quoi est-ce important pour vous?

Il est important d’apprendre à améliorer le traitement de la douleur pour répondre à un besoin criant dans la population canadienne, celui de mieux comprendre et gérer la douleur chronique, qui touche un adulte sur cinq au Canada. La douleur chronique engendre des coûts énormes pour la société, directement et indirectement : on parle notamment de perturbations sur les plans de l’emploi et des structures sociales, de perte de qualité de vie. On peut améliorer la prise en charge de la douleur de multiples façons et il est important que les chercheurs universitaires soient présents aux côtés des organismes représentant les patients pour orienter et diriger les recherches visant à mieux soulager la douleur.

 

Comment définiriez-vous la douleur chronique?

Tout le monde sait ce qu’est la douleur; nous en avons tous fait l’expérience et elle fait partie de la vie. Mais pour la plupart d’entre nous, la douleur survient en réaction à quelque chose, le plus souvent un traumatisme. La douleur est un signal important qui nous indique qu’il y a un problème; elle exige et mérite notre attention. En revanche, la douleur dite chronique persiste au-delà de la période typique de guérison (qu’on définit de manière quelque peu arbitraire comme étant de 3 à 6 mois), ce qui signifie qu’elle n’a plus la fonction d’alerte qu’elle avait au départ. La douleur chronique devient donc une maladie en soi, qui s’accompagne de toute une série de complications, dont des répercussions psychologiques et des limitations sociales.

 

Voyez-vous souvent la douleur chronique associée à des problèmes de santé mentale?

Pour comprendre l’incidence de la douleur chronique, il faut la conceptualiser comme une triade : la douleur, l’humeur et le sommeil. La douleur peut être considérée comme un symptôme essentiellement physique, mais lorsqu’elle persiste, la superposition de facteurs liés à l’humeur, comme l’anxiété et la dépression, et l’incidence sur le sommeil deviennent très importantes. Combinés, ces problèmes contribuent à ce qui peut devenir un défi insurmontable pour une personne vivant avec une douleur chronique.

 

Quelles ont été les principales avancées en médecine de la douleur ces dix dernières années?

Depuis une vingtaine d’années, on réalise de plus en plus qu’il n’existe pas de stratégie thérapeutique unique pour la douleur; il faut plutôt adopter une approche unifiée faisant appel à plusieurs modalités différentes. La douleur nécessite une approche hautement personnalisée pour chaque patient, en s’appuyant sur des stratégies pharmacologiques, physiques et psychologiques. Les avancées ont permis de reconnaître l’importance de l’interdisciplinarité dans les soins aux patients souffrant de douleur chronique; le défi consiste à les intégrer dans un système de santé publique dont les capacités sont limitées. L’un de mes objectifs en tant que directeur et titulaire de la chaire est de renforcer notre capacité à offrir aux patients une véritable prise en charge interdisciplinaire de la douleur à plusieurs niveaux du système de santé, afin qu’ils bénéficient au maximum de ces approches.

 

Notre système de santé est-il adapté à la collaboration multidisciplinaire?

C’est une bonne question! J’arrive à ce poste à un moment particulièrement passionnant, car on voit un élan formidable au Québec vers l’organisation des services de gestion de la douleur tout au long des corridors de soins, de façon à améliorer la prise en charge de la douleur chronique dès les soins primaires et secondaires et jusqu’aux établissements tertiaires comme l’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards. Il y a clairement une volonté et un intérêt politiques pour l’organisation et le financement de ces services, donc le moment est très bien choisi. Le gouvernement du Québec a publié un plan d’action quinquennal sur la douleur chronique en 2021, et la même année, le gouvernement fédéral a publié un rapport du groupe de travail sur la douleur au Canada. Ces documents constituent d’excellents cadres de collaboration avec le gouvernement, les patients et les partenaires communautaires afin de renforcer l’accès et les approches pour améliorer la gestion de la douleur.

 

Pouvez-vous nous parler de l’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards?

L’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards est l’une des premières cliniques de la douleur au Canada. Elle a été fondée il y a de nombreuses années par Ron Melzack, pionnier de la psychologie de la douleur, avec l’appui d’un homme d’affaires philanthrope, Alan Edwards, qui a reconnu l’importance d’améliorer notre approche de la gestion de la douleur. Au fil des décennies, la clinique s’est développée pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui : une équipe véritablement multidisciplinaire comprenant des médecins spécialistes et généralistes, des psychologues, des physiothérapeutes et d’autres professionnels de la santé, tous réunis, avec notre équipe administrative, dans le but d’aider les patients qui nous sont envoyés en consultation parce qu’ils souffrent de douleur chronique. Nous avons pour mandat de coordonner et d’améliorer les soins aux patients qui vivent avec une douleur chronique dans notre région. Nous jouons également un rôle de premier plan en tant que centre d’expertise en douleur chronique pour le territoire du Réseau universitaire intégré de santé et de services sociaux (RUISSS) McGill.

 

L’Unité mène-t-elle des recherches sur la douleur ou se concentre-t-elle surtout sur les soins cliniques?

Nous faisons les deux. Selon nous, il est important de mener des recherches de qualité pour approfondir notre compréhension de la douleur. Pour ce faire, nous collaborons étroitement avec le Centre Alan-Edwards de recherche sur la douleur, un pôle mondial de recherche fondamentale et translationnelle sur la douleur. Nous avons également une solide équipe de recherche clinique, dirigée par le Dr Marc Martel, ce qui nous permet d’essayer d’appliquer certaines des découvertes de l’équipe de recherche fondamentale dans le contexte clinique et d’améliorer notre compréhension de la douleur. Nous travaillons également avec nos patients pour cerner de nouveaux axes de recherche que nous pourrons creuser avec nos collègues en recherche fondamentale. C’est une relation réciproque, du labo au milieu clinique, et vice-versa. Il faut aussi transmettre les connaissances acquises en recherche aux patients et aux professionnels de la santé, ce qui est un troisième volet de notre travail.

 

Êtes-vous enthousiaste à l’idée de revenir à McGill?

Oui, très enthousiaste! C’est un peu comme revenir chez moi, et mon équipe de la clinique de la douleur a été accueillante et patiente avec moi pendant que je reprenais le rythme! Mes collègues qui travaillent dans le domaine de la douleur partout au Canada m’ont aussi fourni un soutien et des encouragements; nous avons un excellent réseau de soutien pancanadien et notre unité n’est pas seule face aux défis qui se posent. C’est un moment formidable pour replonger dans le domaine de la gestion de la douleur, avec les initiatives en cours au Québec, en plus de la stratégie pancanadienne de lutte contre la douleur qui vient d’être publiée, en collaboration avec des spécialistes de la gestion de la douleur et des personnes de tout le pays qui ont une expérience vécue de la douleur chronique. Nous avons l’occasion de participer à ces efforts plus vastes visant à améliorer la gestion et la prestation des soins aux patients souffrant de douleur chronique, et le moment est donc bien choisi.

 

Quels sont vos objectifs dans votre nouveau rôle?

Je pense qu’il faut d’abord prendre acte que – comme beaucoup d’autres unités cliniques – nous venons de traverser une période très difficile avec la COVID, la réorganisation due à la pandémie, les changements à la direction et la transition vers des modèles de soins virtuels et hybrides. J’arrive dans une unité clinique où ces changements ont eu une profonde incidence, mais qui continue à offrir des soins de grande qualité. Mes premières tâches consistent essentiellement à mieux comprendre l’équipe et ses préoccupations, à analyser les possibilités qui s’offrent à nous, à positionner notre unité dans le contexte des initiatives provinciales et nationales sur la douleur, et à élaborer une stratégie avec mes collègues pour consolider nos forces et déterminer les points que nous devons corriger, et la façon d’y parvenir.

Pour cela, il faudra que nous travaillions tous ensemble et que je comprenne bien les gens et les possibilités qui s’offrent à nous ici. Au cours des trois à six prochains mois, j’élaborerai les orientations stratégiques qui permettront à la clinique de progresser en tant que centre d’expertise et d’excellence, et qui nous aideront à poursuivre notre mission d’enseignement, de recherche et de soins cliniques.

 

Quel sens a votre travail à vos yeux, sur le plan personnel?

Ce travail est ma vocation. Comme médecin de famille très privilégié, je suis conscient des besoins des patients qui vivent avec une douleur chronique et je me sens appelé à faire ce que je peux pour améliorer leur qualité de vie, améliorer la qualité des services que nous leur offrons, et leur donner accès aux outils et aux options efficaces que nous connaissons déjà. En tant que personne ayant des aptitudes de coordination et de gestion, capable de rassembler les gens autour d’un objectif commun, je pense que c’est un projet passionnant. Je suis motivé à faire de notre unité et de McGill des chefs de file en médecine de la douleur à l’échelle mondiale. C’est là ma mission et je suis extrêmement chanceux d’avoir ainsi l’occasion de servir notre communauté.

 

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