Nouvelles

Fin de séjour pour Sam Victor, boursier postdoctoral BMO 2022-2023

Publié: 5 February 2024

Portait de Louis-Robert Beaulieu-GuaySam Victor a été le boursier postdoctoral BMO du CRIEM pour l'année 2022-2023. Alors qu'il poursuivra son projet grâce à une bourse postdoctorale du FRQSC, le CRIEM l'a rencontré pour faire le point sur ce séjour riche en apprentissage.

Rappelons que Sam Victor est passionné par l’étude des dimensions éthiques, morales et politiques de la rencontre interculturelle. Sa recherche met l'accent sur les aspects réflexifs et délibératifs des relations sociales, surtout les processus d’évaluation par lesquels les gens déterminent ce qui est important dans la vie ainsi que les stratégies de persuasion qu’ils élaborent afin de les communiquer aux autres.

 

Est-ce que vous pouvez revenir sur votre projet initial qui vous a valu la bourse postdoctorale BMO?

Le projet que j'ai développé à l'origine avec Hillary Kaell tourne autour de l’église St Jax, qui est située très proche de l'Université Concordia (c'est un nom qui a été créé par la paroisse pour être plus moderne et jeune, parce que avant c'était «St. James The Apostle»). On s'intéressait aux efforts de cette église particulière, surtout aux efforts du leadership de la paroisse, qui souhaite réimaginer l'espace de l’église (l’église dans le sens du bâtiment même). Comment utiliser le bâtiment? Quel est le rôle des bâtiments d’église dans une société séculière? Dans le cas de St Jax, elle n’est plus juste une église; elle accueille plusieurs organismes (des OBNL, d’ailleurs, et trois autres congrégations chrétiennes s’y réunissent également) et aussi des événements culturels, pour essayer d’être plus en lien avec la communauté. C’est ce qu’ils disent, c’est leur discours par rapport à leur place dans le quartier.

Au début, je m'intéressais à comment leur discours reflète des tendances, plus larges, façonnées surtout des évangéliques (soit un courant du christianime qui est un mouvement mondial et très divers). Mais en général, les évangéliques sont très attachés à l'évangélisation, c'est-à-dire à l'influence sur la société. Mais certains groupes, surtout dans les contextes urbains et nord-américains, changent de stratégie; ils ne veulent plus faire de prosélytisme, ils ne veulent plus s'imposer aux autres, ils veulent essayer de tisser des liens avec la société autour de l’église et essayer de réimaginer la place de l’église. Ça s'imagine différemment de ce qu'on penserait lorsqu'on parle de «prosélytisme» ou de «missionnaires», par exemple.

 

Justement, comment votre recherche s’est-elle métamorphosée en cours de route?

En anthropologie, on pose des questions, puis on se laisse souvent inspirer par notre terrain! On est très à l’écoute de nos interlocuteur.trice.s, on veut toujours mettre l’accent sur leurs intérêts, on veut savoir à quoi le monde ressemble à leurs yeux.

Donc la question de l’économie du patrimoine religieux est apparue. L’église même, St Jax, est dans un bâtiment patrimonial. Ce statut s’accompagne de privilèges sur le plan économique, tel que la possession d’un bien immobilier dans un lieu de grande valeur et l’exonération fiscale de certaines activités. Ils en profitent, mais en même temps ils savent que c'est un peu délicat. Le fait que nous sommes dans une société séculière, conjuguée avec l’histoire de l’Église catholique au Québec, les questions de colonialisme et d’abus… Ils essaient de prendre ça au sérieux, de montrer qu’ils sont dignes du privilège de ne pas à avoir payer d’impôts, tout en occupant un espace «sacré», en fonctionnant en tant qu’église. La solution proposée par la direction actuelle de la paroisse est que l’église devienne un «community hub», un centre communautaire, afin d’accueillir différents OBNL qui ne sont pas nécessairement chrétiens, et qui n’existent pas nécessairement pour avancer le christianisme comme religion, comme on pourrait se l’imaginer avec l'évangélisme. Ils veulent refléter le quartier.

Il y a des questions économiques qui viennent avec ça; il y a toujours ce dialogue entre l'institution de l'église et le public par rapport à l’enjeu de confiance qu’on peut lui accorder, et par rapport à l’enjeu de gestion de la richesse de l'église. L'église (le bâtiment même) est toujours une propriété privée qui reçoit différentes subventions du gouvernement pour être entretenue, ou pour tenir certaines activités. Il y a cette négociation constante entre le fait que ça demeure une propriété privée qui appartient à une institution religieuse, mais qui s’imagine comme comme un bien public. Analyser les stratégies plus pratiques qui sont déployées sur le terrain pour accomplir cette négociation est devenu le centre de mes recherches.

 

Pouvez-vous me parler d’une de ces stratégies?

L'église St Jax est connue probablement grâce au cirque qui y répète et performe. La troupe s'appelle Le Monastère. Ils font des spectacles de type cabaret, plus artisanal. Ils répètent et performent dans l’église quelques jours par semaine, mais il y a toujours des services religieux dans l’église le dimanche. Le Monastère, ce n’est pas religieux du tout, ils relèvent même un peu du sacrilège! Aussi la troupe se positionne très en faveur des droits des personnes LGBTQ+, ce qui contredit ce qu'on pense d'une église en général, surtout une église qui tend à être associée à une dénomination un peu plus conservatrice. Donc ça c'est un exemple de comment l'église se positionne dans le public québécois, moderne, sur le plan moral, politique et culturel, mais aussi économique, parce que Le Monastère est le locataire principal du bâtiment et bénéficie d'un soutien important de la part du public. C'est un exemple de comment St Jax essaie de tisser des liens avec différents secteurs de la société.

Sinon, il y a un OBNL de service aux réfugiés, qui s’appelle Action-Réfugiés. Il y a une école de langue qui participe à la francisation des nouveaux arrivants. Il y a aussi une banque alimentaire, donc finalement plein d’autres organismes qui ne sont pas explicitement religieux dans leur mission.

 

Quels ont été les défis que vous avez rencontrés au cours de votre stage postdoctoral au CRIEM?

Il y a beaucoup de choses qui se passe dans à l’église St Jax, donc c’était difficile de suivre chaque filon. Vu qu’il y a beaucoup d’organisations, c’est difficile de faire une étude approfondie de chaque organisme!

Aussi, on peut étudier les discours, comment le personnel de St Jax parle de leur rôle dans la société, comment il évalue les différents narratifs culturels sur la laïcité et comment il se positionne là-dedans. Ça, c’est assez simple, mais c’est difficile d’avoir l’avis du public, des personnes qui fréquentent les événements de l’église et le centre communautaire de St Jax. On a fait des entrevues avec les autres organismes du bâtiment et on a assisté à des spectacles de cirque, où on a parlé avec des spectateur.trice.s, mais quand même ça reste difficile de savoir c’est quoi l’autre côté, surtout que le public est énorme et très diversifié.

 

Pourquoi est-il important d’étudier les églises en tant que bâtiments?

Il y a tellement d’églises à Montréal! Elles font partie du paysage urbain, mais aussi de la culture, de la politique, de l’histoire et de l’imaginaire public. Tout le grand récit de la sécularisation et de la laïcité au Québec laisse des traces, des traces matérielles très évidentes, surtout à Montréal. Donc c'est une question de société, à savoir ce qu’on fait avec ces traces matérielles. Il y a des grands débats publics depuis des décennies au Québec.

Dans le discours, c'est difficile à naviguer parce que, en même temps, on a une société de plus en plus séculière, mais cette même société veut garder ce patrimoine religieux matériel pour des raisons culturelles. Donc la question est-ce que c'est religieux, est-ce que c'est culturel, c'est un nœud dans le discours québécois actuel.

Ça implique des questions d'identité aussi. Surtout parce que les traces matérielles c'est quasiment que des églises chrétiennes, mais aujourd'hui à Montréal il y a beaucoup de gens qui ne sont pas chrétien.ne.s. Comme des musulman.e.s ou des gens d'autres religions, ils.elles n'ont pas nécessairement un niveau d'intégration dans l'histoire du Québec. Il faut se demander en même temps comment inclure dans ce patrimoine des choses autres que juste l'histoire du christianisme. C’est une grosse question, je n’ai pas de réponses, mais étudier les églises, ça met l'accent là-dessus et c’est vraiment important!

 

Comment travailler avec une communauté religieuse vous a influencé?

C’est une continuité de ce que j’ai fait au doctorat, où j’ai étudié une communauté chrétienne évangélique. Et c’est drôle, parce que je m’interroge moi aussi à savoir pourquoi je m’intéresse autant aux communautés religieuses évangéliques! Dans l’imaginaire évangélique, ils veulent toujours être un peu à l’extérieur de la société dominante et donc ils ont une perspective intéressante sur cette société, souvent controversée. Mais même au-delà des polémiques politiques, c’est intéressant de voir des gens qui ont un certain imaginaire qui veulent faire partie et influencer une société tout en même temps y rester en-dehors un peu.

Et aussi, le mouvement évangélique, en général sur le plan mondial, est en hausse. Je pense que ça challenge un peu l’idée qu’on a que la société -le monde même- devient de moins en moins religieuse. On dirait que c’est le cas, surtout dans certaines sociétés, comme ici par exemple. Mais en même temps, il y a l’immigration, il y a le fait que nous sommes une société ouverte aux autres personnes qui sont souvent religieuses. Il faut faire face à cette réalité, la société québécoise -mais aussi bien d’autres sociétés, surtout en Occident- sont des sociétés qui changent sur le plan religieux, même si on pense qu’elles deviennent de moins en moins religieuses. Je ne pense pas réellement qu’elles deviennent vraiment de moins en moins religieuses, mais il y a des changements dans la façon dont les gens vivent la religion. Ce qui est sûr, c’est que les évangéliques ne sont qu’un cas, au centre de ces discours, et ça permet d’étudier toutes sortes de questions politiques, culturelles, etc.

 

Est-ce que vous allez continuer à travailler sur Montréal?

Oui, je l’espère! Le postdoctorat que j’ai commencé ici au CRIEM se poursuit parce que j’ai reçu une bourse postdoctorale du FRQSC!

Quelle bonne nouvelle, bravo!

 

Si vous avez à décrire Montréal à une personne qui ne connaît pas la ville?

Un joyau caché

Journée parfaite à Montréal :
En été, une balade en vélo au bord du fleuve, avec un picnic et des charcuteries!

3 symboles incontournables :

Les universités, Orange Julep et les balcons de ruelle

Quartier préféré :
Toujours Verdun!

Back to top